Compartir
CHILI - AU FIL DES ANDES
Article de la revue mensuelle U.N Special (ONU), paru en août, septembre et octobre 2015. Ecrit et Photographié par Claude Maillard, alors guidé par Anaïs, créatrice de l'agence AUTOCHTONE VOYAGE.
Quel aventurier n’a pas rêvé un jour de parcourir l’Altiplano, ces hautes plaines situées au cœur de la Cordillère des Andes dont l’altitude moyenne avoisine les 3300 m et qui s’étendent sur quatre pays, le Pérou, la Bolivie, le Chili et l’Argentine.
Après avoir exploré la partie péruvienne, cap plus au Sud pour partir à la découverte de l’Altiplano chilien et bolivien, l’un des déserts les plus secs, vieux et hauts de la planète, jalonné de volcans dont certains sommets avoisinent les 7000 mètres de haut.
Une femme au pouvoir
Gouvernée par Michelle Bachelet, la République du Chili est un pays à la géographie très particulière, s’étirant du Nord au Sud sur 4300 kilomètres et dont la largeur minimum n’excède pas 90 kilomètres. Pratiquement une fois et demie plus grand que la France, il ne compte que dix-sept millions d’habitants dont sept vivent à Santiago, la capitale. Autant dire qu’une majeure partie du territoire est désertique.
Membre de la Commission nationale de lutte contre le sida et consultante à l’OMS dans les années 1990, puis Directrice exécutive d’ONU Femmes en 2011, la Présidente est en fonction depuis le 11 mars 2014 après avoir déjà exercé un premier mandat de 2006 à 2010. Entre deux, le pouvoir était détenu par Sebastian Piñera. En remontant dans l’histoire, en 1970 Salvatore Allende est élu Président, mais après un coup d’Etat mené le 11 septembre 1973 par l’armée qui demande sa reddition, il se donne la mort. Une junte militaire dirigée par Pinochet s’empare alors du gouvernement. S’ensuit une dictature sanglante qui s’installe dans le pays, puis Pinochet s’autoproclame Président. Sûr de lui, il perd pourtant les élections de 1989 au profit de Patricio Aylwin, avant d’être arrêté pour crimes et exactions. Ensuite se succèdent à la présidence le socialiste Ricardo Lagos (élu en 2000) puis Michelle Bachelet, première femme à diriger le Chili.
Au pays des volcans
Le décor de l’Altiplano dans lequel la vie, discrète, s’accroche coûte que coûte s’imprime sur un ciel d’un bleu absolu. Une beauté minérale époustouflante … à couper le souffle ! L’atmosphère y est prodigieusement claire et l’air raréfié. Et le randonneur enthousiaste qui, prudent, a pourtant pris soin de s’accoutumer aux premiers dénivelées, ralentit bien vite le pas, en « apnée » dès les premiers mètres. Les sommets qui culminent, dont près de 2100 volcans, forment une barrière si haute qu’elle empêche la moindre humidité en provenance du bassin amazonien de passer.
A l’approche de l’aéroport Arturo Merino Benitez, nous n’apercevrons que quelques sommets émergeant des nuages qui enveloppent la Cordillère des Andes. Mais la pluie annoncée à Santiago du Chili n’est heureusement pas au rendez-vous, rendez-vous qui, à quelques jours près, a bien failli être compromis par la grève des pilotes d’Air France qui n’ont aucun scrupule à prendre en otage les clients de leur compagnie dont ils mettent également l’avenir en péril.
La capitale, l’une des plus grandes d’Amérique du Sud, qui héberge donc 40 % de la population du pays, n’est pas spécialement attrayante. Bruyante, elle n’inspire qu’une envie, celle de retrouver les grands espaces de l’Altiplano. Cependant un tour de ville, fondée en 1541 par le conquistador espagnol Pedro de Valdivia, s’impose tout de même. Ne serait-ce que pour grimper au sommet du Cerro San Cristobal, dominant le quartier de Bellavista et d’où l’on peut apprécier l’étendue de la métropole, ou pour déjeuner au très pittoresque Mercado central, réputé pour ses poissons et fruits de mer.
Une oasis nommée San Pedro de Atacama
Isolé en plein désert, au pied du majestueux volcan Licancabur au cône parfait de 5916 mètres de haut, San Pedro de Atacama est considéré comme la capitale archéologique du Chili. Ce gros bourg de 7500 habitants construit à 2438 mètres d’altitude est situé 1300 km au nord de Santiago. Il s’étire le long d’une rue principale en terre battue et c’est également le point de départ idéal pour découvrir la beauté sauvage des paysages qui l’entourent. L’Airbus de la LAN qui permet d’y accéder, via Calama (où l’on trouve la plus grande mine à ciel ouvert de cuivre au monde), survole la Cordillère des Andes aux pentes enneigées puis arides plus nous nous rapprochons du désert d’Atacama, que nous allons parcourir durant plusieurs jours.
La différence de température avec Santiago est impressionnante! Et, alors que l’on aurait plutôt tendance à se laisser aller à savourer une rafraichissante bière locale à l’abri du soleil, notre guide Anaïs nous entraîne dans une région montagneuse surchauffée faite de sel, de sable et de gypse, la Vallée de la Lune. Le sentier descend en pente raide et débouche sur un immense plateau cerné de canyons ravinés. Le sol est fait de plaques d’argile craquelées et le décor évoque un monde extraterrestre semblable à la planète Mars. Tous les soirs, le soleil a rendez-vous dans la Vallée de la Lune ! Pendant cet instant magique, la lumière révèle les paysages fantomatiques des lieux où le vent a érigé de hautes dunes et où l’érosion a été accentuée par le gel. C’est aussi à ce moment-là que l’on regrette la chaleur de la journée car une fois le soleil couché au loin sur le Pacifique, le froid prend vite le dessus et le désir de retrouver San Pedro de Atacama devient pressant…
Au cœur du désert d’Atacama
Le désert d’Atacama est considéré comme le désert des déserts, le plus sec de tous, le plus aride au monde. Par endroits il n’a pas plu depuis une centaine d’années ! Pourtant, dans certaines parties souterraines, des eaux saturées en sel ruissellent, remontent à la surface, puis sous l’effet de la chaleur intense se cristallisent pour former une croûte de sel et de minéraux. Cela crée les salars, d’immenses dépressions salines, et le salar d’Atacama situé au sud de San Pedro, dépassant les 100 kilomètres de long, est le plus grand du Chili. Du pittoresque village de Toconao et ses maisons en pierre blanche volcanique, on distingue au loin les exploitations de lithium dont le Chili est le premier producteur mondial. Non loin, la laguna de Chaxa qui fait partie de la « Reserva Nacional Los Flamencos » regroupe trois espèces de flamants (flamants de James, du Chili et andins) venus se nourrir sur ce plan d’eau. A partir du village préhispanique de Socaire niché à 3218 m d’altitude et dont les 380 habitants disposent de deux églises typiques au toit de chaume, la piste grimpe à travers les steppes sauvages de couleur jaune où pousse la paja. Puis soudain, au détour d’une butte, à 4200 m d’altitude, surgit la laguna Miscanti, sublime lac couleur bleu azur surplombé par le volcan Miscanti (5834 m) devant lequel paissent des vigognes. L’endroit est féérique et quelques instants plus tard, à deux pas, avec la laguna Miñiques dominée par le volcan du même nom qui culmine à presque 6000 m, c’est l’extase ! Avec ses eaux d’un bleu turquoise renforcé par la couronne immaculée de cristaux de sel qui se forme sur le pourtour, la laguna rayonne sous le soleil dans ce milieu plutôt minéral et l’on a bien du mal à quitter l’endroit.
Mais le désert d’Atacama, avec toutes ses richesses naturelles, nous réserve encore beaucoup de surprises à découvrir…
De lagunas en volcans
Après bientôt une semaine à parcourir les fantastiques contrées sauvages dans les environs de San Pedro de Atacama, suite de l’aventure en direction de la frontière bolivienne toute proche.
A 4800 m, même en région désertique, la nuit a été fraîche et une fine pellicule de glace recouvre la laguna Quepiapo dominée par le célèbre Licancabur, le volcan au cône parfait de 5916 m qui fait rêver tous les vulcanologues et que nous avons prévu de gravir lorsque nous serons mieux acclimatés à l’altitude. Encore plus haut, le volcan Pili reflète son sommet déchiqueté (6046 m) dans la laguna Diamantes d’un bleu aussi pur que celui du ciel andin. Quelques lamas et vigognes complètent la scène : l’image est féérique ! Au loin, vue de la caldera de la Pakana, une étendue émeraude surgit au milieu de ce paysage aride : c’est la laguna Aguas Calientes. Tous ces lacs d’altitude, plus ou moins profonds, ponctuent le désert de leurs eaux multicolores et font le bonheur des flamants roses qui viennent s’y délecter des minuscules crevettes qu’ils renferment.
A l’assaut du Lascar…
Planté en plein désert, un rocher haut de 27 m au profil d’indien semble garder les lieux. Dès lors, la route fait place à une piste sablonneuse qui débouche sur un vaste plateau désertique bordé de falaises ciselées composées d’agglomérat de cendres volcaniques et sur lequel se sont répandues des coulées de basalte et d’obsidienne. A l’horizon se dresse à 5653 m d’altitude le volcan Zapaleri dont le sommet constitue le tripoint entre les frontières de l’Argentine, de la Bolivie et du Chili. Plus près, au fond d’une dépression, le salar de Tara s’offre à nous. Un panorama à couper le souffle. Avec tous ces flamants roses et ces dizaines d’espèces d’oiseaux à observer, c’est vraiment l’Altiplano dans toute sa splendeur ! Mais ce n’est pas ce soir que nous allons faire la fiesta « Chez Carmen », petit resto très sympa à San Pedro. Pas de Casillero del Diablo non plus pour arroser cette merveilleuse journée … et comble de tout, il faut aller au lit de bonne heure ! Car demain l’ascension du Lascar nous attend et ce n’est pas tous les jours que l’on grimpe à 5592 m sur l’un des volcans les plus actifs du Chili. Il a connu plus de 30 éruptions depuis les années 1850 ; la plus violente projeta des cendres jusqu’à Buenos Aires et la dernière date de 2007. A ses pieds, tel un miroir, la laguna Lejia renvoie l’extraordinaire image d’un autre volcan, le Chiliques pendant que sur ses berges quelques nandous, espèce d’oiseaux voisins de l’autruche, déguerpissent à grandes enjambées. La pente du Lascar est abrupte et au travers d’éboulis de roches et de cendres, la progression est difficile. Des émanations de soufre, la raréfaction d’oxygène et certainement le manque de préparation nous handicapent énormément. Le souffle se fait de plus en plus court, mais après plusieurs heures nous atteignons le sommet, heureux mais complètement exténués. Depuis la crête, la vue sur le cratère éventré d’où s’échappent des fumeroles est impressionnante : nous sommes bien sur une gigantesque bombe à retardement …
… mais désillusion au Licancabur
Après nous être concertés avec notre guide de montagne Gino, la décision est prise de ne pas tenter le diable en voulant coûte que coûte se lancer dans l’escalade du Licancabur le surlendemain et peut-être de compromettre la suite de notre aventure. Plus sagement, nous nous plongerons dans le passé en partant à la découverte des pétroglyphes qui ornent les rochers du site de Yerbas Buenas. Envoutés par les lieux, nous ne pourrons pas résister à bivouaquer sur place, loin de toute « pollution lumineuse », nous donnant l’occasion de formuler nos plus chers vœux à chaque passage d’une étoile filante, très nombreuses au-dessus du désert d’Atacama.
Genres de cactus candélabres atteignant 8 m de haut, les cactus cardones se plaisent à merveille sur les parois abruptes du Rio Salado et du Rio Grande. La piste qui surplombe ces profonds canyons conduit jusqu’au village de Rio Grande, où 80 personnes vivent d’un peu de cultures en terrasse et d’élevage, complètement isolés de tout. Coiffé d’un toit de chaume surmonté d’une croix « dangereusement » inclinée, le clocher de la petite église construite en pierres blanches et entourée d’un mur en terre domine une poignée de maisonnettes plutôt modestes. Bien vite le chemin, traversé à plusieurs reprises par un torrent, devient impraticable et c’est à pied que nous accéderons à Penalir, village fantôme bâti à 3430 m d’altitude, dans un univers minéral où rien ne pousse et que ses habitants ont dû abandonner. Tout aussi peu fréquentée, la vallée Arc-en-Ciel, formée de concrétions rocheuses érodées par le vent, offre une incroyable palette de couleurs. Parmi les roches vertes, bleues, rouges, marron, violettes et orangées, on trouve principalement de la pyrite, de la calcite, ainsi que des oxydes de fer et de cuivre. Un vrai régal pour les yeux …
La tête dans les étoiles …
Ce n’est pas par hasard si l’Europe, l’Asie et l’Amérique du Nord, en collaboration avec le Chili, se sont groupées pour construire le télescope le plus puissant au monde près de San Pedro de Atacama. C’est sur le haut plateau de Chajnantor, dans un décor lunaire, à 5100 m d’altitude que se dresse ce formidable outil technologique nommé ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimiter Array). Balayé par des vents violents et polaires, l’endroit a été choisi pour son air qui est très sec, certainement le plus sec de la planète. Dans ces conditions idéales, les 66 antennes géantes d’ALMA, pesant entre 100 et 120 tonnes chacune, ont pour mission de traquer en meute la naissance d’une étoile et d’une galaxie dans l’univers froid, telles qu’elles étaient il y a plus de 10 milliards d’années. Pour notre part, nous nous contenterons de la dizaine de télescopes qu’Alain Maury, ingénieur en astronomie et photographe, met à la disposition des touristes pour leur faire découvrir le ciel austral. Depuis toujours intéressé par la vulgarisation de l’astronomie et après avoir travaillé au CNRS, il a fondé SPACE avec son épouse à San Pedro de Atacama.
… et dans les entrailles de la terre
Situé à 4321 m d’altitude et d’une surface de plus de 30 km2, El Tatio est la troisième plus grande zone géothermale au monde après celle de Yellowstone aux Etats-Unis et celle de la Vallée des Geysers en Russie. L’eau provenant de la fonte des neiges et qui s’est infiltrée dans des failles à environ 800 mètres de profondeur, là où la température atteint les 250°, est réchauffée puis se transforme en vapeur avant d’être expulsée vers la surface. Ainsi, plusieurs dizaines de fumerolles et de solfatares, des terrasses de geysérite, plus d’une centaine de sources chaudes (dont 80 geysers) et quelques volcans de boue parsèment le secteur. Et même si la hauteur des geysers n’est pas très importante, le spectacle est grandiose, surtout au lever du jour quand le contraste entre la température ambiante glaciale et celle de l’eau en ébullition est au maximum. C’est aussi à ce moment-là qu’apparaissent les viscaches, gros rongeurs proches du lapin mais avec une queue touffue ressemblant à celle de l’écureuil, peu effarouchées par notre présence. Mais nous n’aurons guère le loisir de les observer quand elles bondissent de rocher en rocher ou prennent la pause sous les premiers rayons bienfaiteurs du soleil. Car demain dimanche, la Bolivie vote pour élire son nouveau Président et les frontières seront fermées. Pour cela nous devons abréger notre séjour au Chili pour pouvoir poursuivre notre aventure…
NB: Quelques temps après nous avoir permi d’accéder au sommet du volcan Lascar qui culmine à près de 5600 m, notre guide Gino a été victime d’une chute qui lui a malheureusement été fatale. A 32 ans, ce gentil garçon dynamique, enthousiasme laisse une compagne et un enfant qu’il n’aura même pas eu la chance de connaître.
Texte & photos Claude Maillard